500 habitants et 20 millions d’euros de subventions: l’aventure collective d’un village italien
Dans le cadre du plan de relance de l’Union européenne, la bourgade de Stelvio a hérité de 20 millions d’euros de subventions. Cette gratification inespérée vient récompenser la capacité des habitants à dessiner collectivement le futur de leur village.
À Stelvio (Trentin-Haut-Adige, nord-est de l’Italie).
L’Italie présente un tissu urbain unique, dont la moitié est composée de petites villes, appelées «borghi», qui comptent généralement moins de 3.000 habitants et sont situées près de villes plus importantes. Ces dernières années, le nombre d’habitants de ces villes a considérablement diminué, ce qui a conduit à la fermeture de commerces traditionnels et à l’exode des jeunes vers des villes plus grandes. Il s’agit d’un phénomène qui affecte l’ensemble du pays: les borghi historiques sont délaissées, tandis que les grandes villes s’étendent.
Dans le Sud-Tyrol, le village de Stelvio, qui enregistre une baisse graduelle mais constante de sa population ces dernières décennies, est également touché par ce phénomène. Perchée à 1.310 mètres au-dessus de la mer dans les Alpes italiennes, la bourgade compte désormais moins de 500 habitants –un chiffre qui s’élève à 1.100 si l’on ajoute les localités alentour. Du village, où on parle plus allemand qu’italien, on peut rejoindre la Suisse en trente minutes en voiture ou traverser la frontière autrichienne par le col du Stelvio.
Face au manque de perspectives économiques, les jeunes et les familles sont les premiers à partir, ce qui entraîne la fermeture des commerces de première nécessité; les infrastructures restantes sont repensées pour répondre aux besoins du tourisme.
Si le gouvernement italien tente de contrecarrer ce phénomène en prenant des mesures telles que la fourniture d’un accès internet rapide pour attirer les «digital nomads», son action peine à tenir compte de la diversité des besoins et des cultures de ces villages. La solution ou, du moins, l’inspiration, pourrait toutefois venir de Stelvio, qui vient de recevoir 20 millions d’euros de subventions en provenance du fonds de relance post-Covid-19 de l’Union européenne (UE).
Esprit de ruche
En allemand, il existe un mot pour désigner le superorganisme de la colonie d’abeilles: der Bien. Ce terme fait référence aux spécificités de cette communauté: les abeilles, en groupe, développent des compétences qu’elles n’auraient pas pu acquérir seules. Un documentaire sur le sujet a été diffusé à Stelvio grâce au soutien de l’UE. Au moment du générique de fin, les habitants ont pu poser des questions sur la conservation de la nature et les abeilles à un groupe d’experts. Daria Habicher, experte en développement régional, s’interroge sur les enseignements à tirer du fonctionnement de la communauté des abeilles.
La Dre Cristina Reguzzi souligne que le système démocratique de la ruche dépasse nos capacités humaines. Les abeilles peuvent identifier instantanément la position et les responsabilités de leurs congénères au sein de la ruche. En utilisant des substances de signalisation pour communiquer entre elles et coordonner leurs activités, elles fonctionnent comme un organisme unique. D’après Cristina Reguzzi, même si les humains ne possèdent pas cet esprit de ruche inné que l’on retrouve chez les abeilles, il y a beaucoup à apprendre de leur esprit de coopération.
Réciproquement, les abeilles pourraient probablement en apprendre beaucoup de l’esprit d’initiative et de la capacité de délibération collective des habitants de Stevio. Ces derniers sont en effet pour beaucoup dans l’obtention des fonds, accordés en mars 2022 à la suite d’un appel à projet au délai très court mis en place par le ministère italien de la Culture avec les subsides du fonds de relance de l’UE.
Engagement continu
«Les projets étaient prêts. 70% de ce que nous avons présenté, nous l’avions planifié il y a des années, puis nous l’avions laissé de côté en raison de l’absence de financement», explique Marisa Giurdanella, responsable de la culture de la ville voisine de Bolzano et intermédiaire de Stelvio auprès du ministère national, qui peine encore à en croire ses yeux devant une telle manne.
Les 20 millions d’euros de l’UE viennent ainsi couronner l’ancrage de la culture du village dans l’engagement continu d’individus issus de différents groupes d’intérêt, tels que des groupes qui s’intéressent aux sols, à l’agriculture biologique ou ceux qui répondent aux besoins culturels et sociaux des jeunes.
L’implication des habitants dans le processus politique participe du succès de ces groupes, qui sont actifs depuis plusieurs décennies. En raison de la petite taille du village, ces groupes d’intérêt exercent une influence conséquente. Il n’est pas rare de trouver à la terrasse de cafés et de restaurants une table autour de laquelle les habitants se réunissent et échangent les dernières nouvelles, comme l’explique Daria Habicher. Le mercredi, la municipalité accueille les questions des habitants, en organisant parfois des réunions publiques pour qu’ils puissent donner leur avis.
Armin Bernhard, qui jouait le rôle de chef d’orchestre dans les projets de développement de Stelvio, est malheureusement décédé avant que la ville ne se voie accorder les fonds. Cet événement a marqué un véritable choc pour tout le monde, mais grâce à l’énergie et à la passion qui avaient accompagné son travail, l’argent n’est pas revenu aux mains d’entreprises désireuses de s’approprier le projet.
Originalité préservée
L’originalité et la diversité de Stelvio ont ainsi pu être préservées. La localité tyrolienne se distingue en effet des vingt autres petites villes qui ont reçu 20 millions d’euros pour leur développement. Plutôt que de se concentrer exclusivement sur le tourisme ou la restauration de sites historiques, le projet de Stelvio inclut également le développement des transports publics, des solutions de cohébergement pour les personnes âgées, la création d’appartements pour les jeunes et l’organisation d’un festival d’artisanat. Le projet met également en avant l’agriculture et le développement de solutions durables et respectueuses de l’environnement.
Il peut paraître étrange que ce soit le ministère de la Culture qui investisse dans le développement économique, mais comme le fait remarquer Angelantonio Orlando, superviseur et coordinateur du projet du ministère de la Culture, en Italie, «la culture, c’est l’économie». «Nous souhaitions nous concentrer pleinement sur les petites villes, explique encore le haut-fonctionnaire. Après tout, l’Italie comporte une infinité d’endroits de ce type. Nous souhaitions lutter contre la sous-population et l’exode des jeunes vers des villes plus importantes. Il n’y a aucune raison que ces sites soient exclus du développement économique.»
Le fait d’allouer 20 millions d’euros à un seul village pour stimuler l’économie locale et empêcher son déclin a néanmoins fait débat. De plus, l’objectif explicite de cet argent est d’investir dans l’avenir. Certains estiment que les fonds auraient pu être mieux répartis entre différentes villes confrontées à des situations d’urgence. «Nous aurions peut-être pu répartir le budget entre plusieurs villes», déclare un représentant de la province de Bolzano, qui reconnaît qu’il s’agit d’un projet pilote mais s’interroge sur le caractère fondé de cette décision.
Pression du temps
Un délégué de l’administration du district, qui s’occupe de contacter les entreprises de construction et de gérer les démarches administratives, se demande également si Stelvio méritait plus cet argent que d’autres villes, mais affirme que la principale difficulté réside dans la gestion bureaucratique des fonds de l’UE. Probablement en raison d’expériences passées, les formalités administratives ont été jugées trop strictes par certains. «Les appels à projet, en plus d’arriver en retard, étaient extrêmement exigeants en matière de délais», précise la même source.
L’Italie, qui dispose de la plus grande part du fonds de relance avec près de 200 milliards d’euros, est en effet sous la pression du temps: elle doit parvenir à absorber cette enveloppe gigantesque et à la transformer en projets utiles d’ici à 2026, dates à laquelle les financements européens s’arrêteront. Le projet bien ficelé de Stelvio était une exception; de nombreuses villes ont dû tout préparer dans la précipitation pour pouvoir prétendre à un financement.
Toutefois, le fait d’impliquer des personnes à chaque étape du projet n’implique pas forcément d’inviter les parties prenantes autour de la table; il s’agit d’abord de convaincre la population locale de l’intérêt du projet. «Ce sont nos citoyens, en fin de compte, qui devront faire face aux conséquences de cet argent. Il ne s’agit pas simplement de bâtiments, mais aussi de choses immatérielles. Et ces choses prennent du temps», conclut Daria Habicher.
Si le village de 400 habitants tient beaucoup à son indépendance, il ne s’est jamais senti aussi proche de l’Union européenne. «Nous avions déjà reçu d’autres subventions de l’UE, mais il s’agit d’une première à bien des égards», explique Samuel Marseiler, adjoint au maire de Stelvio. «Ces décisions profiteront encore à nos citoyens dans vingt ou trente ans», prophétise-t-il.
Il est encore trop tôt pour déterminer si ce projet pilote aura un impact significatif sur les paysages italiens et européens. Il est également trop tôt pour observer des premiers changements dans le village. L’aventure collective de Stevio n’en est pas moins prometteuse.