À Bruxelles, une initiative d’agriculture urbaine porte ses fruits
Dans la capitale belge, l’association Graines de Paysans offre de l’espace et du temps à ceux qui veulent se lancer dans du maraîchage, de la tisanerie ou de la floriculture. L’objectif est de susciter de nouvelles vocations pour un métier difficile et favoriser la durabilité et le localisme.
«Je vais aller me chercher quelques tomates dans la serre et j’arrive.» Les mains encore dans la terre, Barbara Garbarczyk met en pause ses plantations du mois d’août pour aller récolter quelques ingrédients pour son repas du midi. Derrière elle, au loin, quelques buildings pointent le bout de leur nez, à peine cachés par les arbres et la végétation environnante. Cette agricultrice bruxelloise en est à sa deuxième saison de production maraîchère à l’espace-test agricole de Graines de Paysans, situé à Bruxelles. «Ici, on a entre 15 et 30 ares chacun, je cultive une quarantaine de légumes que je commercialise sous forme de paniers dans un bar à Schaerbeek» (une commune du nord de Bruxelles).
Concombres, tomates, choux-fleurs, laitue, courgettes, haricots… Autant de légumes qui sont offerts aux consommateurs, généralement bruxellois, pendant la saison estivale. Dans le cadre du programme, Barbara Garbarczyk a accès gratuitement à un espace de plantation extérieur et un autre dans des serres pour les fruits et légumes plus sensibles aux changements brutaux de température. Quasi quotidiennement, elle cultive et récolte ses plantations, parfois en compagnie de bénévoles venus donner un coup de main.
Un peu plus loin, Brigitte Grandjean est affairée dans sa récolte. Pour cette tisanière, les rois et reines du jardin, ce sont les plantes et les fleurs. «Je trouve ça génial de pouvoir faire ses tisanes à base de plantes sauvages. J’ai donc décidé de suivre des formations en tisanerie et d’apprendre la culture des plantes et leurs vertus.»
Une fois les plantes cueillies, elles sont déshydratées dans le séchoir, emballées dans des sachets, puis vendues dans différents commerces de la capitale belge. La Bruxelloise en est à sa troisième année de production au sein de l’espace-test agricole. «Au début, j’ai manqué d’expérience, c’était la première fois que je m’installais, retrace Brigitte Grandjean. Mais j’ai eu de l’aide auprès de Graines de Paysans pour que ça démarre bien. On est encadré et bien accueilli.»
Encourager l’agriculture bruxelloise
«L’avantage de l’espace-test, c’est qu’on a accès au terrain, à toutes les infrastructures et au système d’irrigation. Il y a beaucoup de choses qui sont déjà en place. Par contre, on doit se procurer tout le petit matériel, les bâches, les voiles, le petit outillage. Cela peut s’élever à plusieurs milliers d’euros», souligne Barbara Garbarczyk, alors qu’elle est installée dans la petite cuisine qui avoisine les champs, tout en coupant ses tomates cerises tout juste récoltées. Pendant une durée de trois ans, les agriculteurs de Graines de Paysans peuvent cultiver sur le terrain alloué, afin de tester leur production de maraîchage ou de tisanerie.
L’idée de développer un projet d’agriculture urbaine a émergé aux alentours de 2014. «On sentait qu’il y avait une demande à Bruxelles autour de la possibilité de se lancer dans le métier de la production agricole, en particulier en maraîchage. On a été chercher la commune qui a plus de terres dans la ville, qui est Anderlecht», explique Gabriele Annicchiarico, le coordinateur administratif et financier de Graines de Paysans.
C’est alors qu’est créé le consortium BoerenBruxselPaysans («boeren» signifiant «paysans» en néerlandais, la seconde langue officielle à Bruxelles), qui a «l’ambition de susciter la transition de la Région de Bruxelles-Capitale vers des systèmes alimentaires durables», grâce à plusieurs projets d’agriculture urbaine dont Graines de Paysans. Soutenu par Bruxelles Environnement, l’entité régionale chargée des questions environnementales et énergétiques, BoerenBruxselPaysans reçoit une aide de l’Union européenne dans le cadre du programme 2014-2020 du Fonds européen de développement régional (Feder).
Depuis 2016, le projet Graines de Paysans est rattaché à l’association sans but lucratif Le Début des haricots, qui soutient plusieurs projets agricoles à Bruxelles. Si les financements européens ont pris fin, Graines de Paysans continue son chemin avec l’aide de différents bailleurs de fonds, dont la Région bruxelloise et la Commune d’Anderlecht (sud-ouest de l’agglomération bruxelloise).
«À Bruxelles, il y a tout un système d’accompagnement pour les producteurs qui est quand même bien développé. Il y a encore certaines petites choses qui nécessitent d’être améliorées. Mais dans l’ensemble, on a un bon accompagnement pour toutes les étapes, depuis la conception jusqu’au moment de la vente», positive Francisco Dávila, chercheur au laboratoire d’agroécologie de l’Université libre de Bruxelles et collaborateur au projet d’agriculture urbaine L[ag]UM, financé par le Feder.
Graines de Paysans s’inscrit également dans la stratégie Good Food, une politique publique développée par Bruxelles Environnement, qui vise à améliorer l’accès à une alimentation locale pour les Bruxellois. Depuis 2016, l’espace-test a accueilli une vingtaine d’agriculteurs. Chaque année, un appel à projets invite toutes les personnes voulant se lancer dans le métier et qui ont un projet de production à poser leur candidature.
Une profession difficile
«On dit que le test est réel, parce qu’il faut produire et vendre dès la première année, mais le cadre est sécurisé, parce qu’il n’y a pas à faire les investissements qui sont nécessaires à lancer une activité, expose Gabriele Annicchiarico. Ce qu’on essaie de faire, c’est d’enlever les deux principaux freins au lancement du métier, qui sont l’accès à la terre et l’accès aux moyens de production et aux capitaux. Mais nous sommes aussi conscients que ces deux freins sont juste reportés à plus tard, quand les gens doivent s’installer.»
Selon Francisco Dávila, les agriculteurs bruxellois font face à plusieurs difficultés. D’abord au niveau de la formation, qui n’est pas toujours facile d’accès, mais pourtant essentielle pour les nouveaux agriculteurs. «La plupart des producteurs bruxellois sont des nimaculteurs, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas issus du milieu agricole. Ce ne sont pas des personnes dont le père était fermier et qui ont hérité de la ferme. On parle de personnes qui sont en reconversion professionnelle qui arrivent là-dedans avec énormément de valeurs, mais qui manquent parfois de pratique et d’expérience technique.» C’est le cas de Barbara Garbarczyk et Brigitte Grandjean, qui ont toutes les deux suivi des formations pour apprendre le métier. L’espace-test agricole de Graines de Paysans est un moyen de mettre en pratique les nouvelles connaissances acquises, tout en testant sa production.
Mais la difficulté la plus notable est celle de l’accès à la terre. Une fois la phase de test terminée, les agriculteurs doivent trouver un espace où s’installer. «Ça ne fait que déplacer le problème du foncier. On a fini, on est formé, on est bon, et maintenant, où est-ce qu’on cultive? On dit qu’il n’y a pas de place à Bruxelles pour cultiver. C’est vrai et pas vrai. Je pense que s’il y avait des gestes politiques effectués par toutes les communes et les administrations régionales, on pourrait dégager plus de terrains pour cultiver», soutient Francisco Dávila.
Entre 2016 et 2018, l’association sans but lucratif Terre-en-vue a mis en place une cartographie des terres agricoles et potentiellement utilisables dans la Région de Bruxelles-Capitale. Elle estime que 161 hectares de terres étaient mobilisables dans le cadre d’un scénario pessimiste et 277 hectares dans un scénario optimiste. Anderlecht est l’une des communes avec le plus de terres potentiellement mobilisables, comprises entre 36,9 hectares et 62,3 hectares, selon les scénarios.
«Si on prend les personnes qui ont terminé le test d’activité de Graines de Paysans, on peut dire que la moitié d’entre elles poursuivent l’activité après la phase de test et une autre moitié arrête», précise Gabriele Annicchiarico. Car, en plus des contraintes de formation, de terrains et d’investissements financiers, les agriculteurs doivent également jongler avec un métier qui demande de nombreuses heures de travail. «Il y a des périodes où j’arrive plus ou moins à ne pas trop travailler le week-end, en tout cas pas dans le champ, indique Barbara Garbarczyk. Mais je me souviens de périodes où il n’y a pas un seul jour où je ne travaillais pas, y compris le soir, parce qu’il y a aussi tout l’aspect administratif.»
Brigitte Grandjean, qui arrive à la fin des trois ans de test, projette de rester deux années de plus sur le terrain de Graines de Paysans, un allongement qui est possible dans certains cas. À l’issue de ces deux ans, elle n’est pas certaine de pouvoir maintenir son activité à Bruxelles. «Je ne suis pas dans une productivité très importante et je ne sais pas si en passant sur un autre terrain, je pourrais être vraiment rentable, anticipe-t-elle. Je ne cherche pas un gros terrain, mais il faudrait quand même construire un séchoir et un hangar de stockage.» À noter qu’en parallèle de sa production, Brigitte Grandjean a un autre emploi qui lui permet d’avoir une sécurité économique.
De son côté, Barbara Garbarczyk a trouvé un terrain communal près de la ville de Namur (plus au sud, en Wallonie). L’année prochaine, elle prévoit de s’associer avec quatre autres agriculteurs, maraîchers, tisaniers et éleveurs de chèvres et brebis. «On va créer une coopérative et faire une levée de fonds, puis on espère bénéficier de certains mécanismes d’aide de la Région qui amènent aussi du capital ou des prêts à taux très faibles. On espère avoir aussi le soutien de certaines fondations, dans la limite de l’éthique qu’on se fixe.»
L’agriculture, vecteur d’insertion socioprofessionnelle
Face à la cuisine de Graines de Paysans, deux hommes écossent des petits pois. Ce sont Guillaume Goor et Daniel Kmail, tous deux affiliés à Biotiful, un projet de maraîchage et d’éco-jardinage porté par la Mission locale de la commune de Saint-Gilles (centre-sud de la Région bruxelloise), qui vise à former des demandeurs d’emploi au métier d’agriculteur. Installé depuis 2018 sur une partie du terrain de Graines de Paysans, le projet propose des contrats de travail dont la durée varie entre un et deux ans et qui permettent à une population locale fragilisée de se former à cette profession. «Il y a plusieurs types de contrats, destinés aux personnes qui n’ont pas de diplôme ou dont le diplôme n’est pas reconnu en Belgique», présente Guillaume Goor, qui coordonne le projet.
Daniel Kmail travaille depuis quatre ans aux côtés de Biotiful. Il est le premier inscrit et le seul employé en CDI. Venu de Palestine, il pratiquait déjà l’agriculture avant son arrivée à Bruxelles: «Je cherchais le même travail que je faisais avant. Quand je me suis inscrit chez Actiris, on m’a redirigé chez Guillaume.» À ses débuts au sein du projet, Daniel Kmail a dû s’habituer à la façon de produire de Biotiful, bien loin des techniques utilisées dans l’agriculture intensive. «C’est complètement différent des grandes entreprises; ici, on doit presque tout faire à la main», décrit-il en pesant les petits pois écossés. Tout comme la plupart des fruits et légumes cultivés à Biotiful, ces petits pois seront livrés dans un restaurant de la ville.
En ce moment, le projet emploie douze ouvriers agricoles. Selon Guillaume Goor, à l’issue de leur contrat avec Biotiful, environ deux tiers des employés trouveront un travail dans le domaine de l’alimentation durable, comme jardiniers, vendeurs dans l’alimentation ou dans des cuisines durables. Par contre, peu d’entre eux continuent de travailler dans le maraîchage, faute d’opportunités.
Graines de Paysans met actuellement en place un nouveau terrain sur lequel des agriculteurs pourront rester sur le long terme, si leur période de test est concluante. L’organisme souhaite également travailler sur la transmission des fermes, afin que de nouveaux agriculteurs puissent reprendre l’activité d’une ferme qui n’a pas de repreneurs familiaux. «La chose qu’on essaie de faire, c’est d’innover et de faire en sorte que les personnes qui veulent se lancer dans ces métiers, qui sont vraiment chouettes mais qui ont des problèmes de viabilité économique, soient soutenues et aidées, assure Gabriele Annicchiarico. Car on a besoin de ce secteur.»