Électrique et solaire, ce bateau remplace de nombreux camions de livraison à Lyon
Evoli vient d’apparaître sur le Rhône et la Saône. Son objectif: se substituer aux camions pour livrer le centre-ville.
Jusqu’à 6.500 camions en moins dans le centre-ville de Lyon en un an: c’est la promesse de l’entreprise de transport fluvial Ecofluv, implantée dans la métropole lyonnaise, grâce à son bateau Evoli. Depuis le mois d’avril, il navigue sur le Rhône et la Saône, avec une capacité de transport de 125 tonnes de marchandises.
Lors de chacune de ses six rotations journalières, il remplace l’équivalent de trois semi-remorques et évite 15.000 kilomètres parcourus par des camions dans le Grand Lyon, comme l’explique le couple fondateur, Dario et Turkun Malcuit.
Au regard de la forte congestion routière dans la métropole, ce chiffre est porteur d’espoir. Plus de 85% du transport de marchandises y est effectué par transport routier, selon des chiffres de 2018. En 2022, ce mode de livraison engendrait 30% d’occupation de la voirie, plaçant Lyon au troisième rang des villes les plus embouteillées de France.
Avec ses deux fleuves, Lyon mise sur la livraison fluviale comme solution viable de désengorgement. Et l’Union européenne y croit: elle finance Evoli à hauteur de 365.742 euros par le Fonds européen de développement régional, sur les 3,25 millions d’euros du coût total du projet.
Un bateau électrique
Le lundi 13 mai 2024, Dario Malcuit, l’armateur d’Evoli, effectue une sortie de routine avec son bateau à la coque bleu ciel. En marinière, le commandant prévient à la radio: «Evoli montant à l’aval du pont de La Mulatière.» Il vient de quitter le port Edouard-Herriot, au sud de la métropole lyonnaise, et navigue sur une eau calme en direction du quartier de la Confluence.
Tout se fait en silence: aucun vrombissement de moteur à bord. Evoli progresse principalement grâce des batteries électriques, à recharger toutes les six heures. En plus de ce système principal, le navire est équipé de trente-quatre panneaux solaires couvrant 100 mètres carrés de toiture.
Cinquième génération de bateliers
Le capitaine de 51 ans n’en est pas à ses débuts: dans sa famille, il est de la cinquième génération de bateliers –conducteurs de bateaux sur les rivières et canaux. «Avant, j’avais l’habitude de conduire des bateaux de 120 à 180 mètres de long. Evoli est tout petit: 27 mètres. Il est maniable et a été conçu sur mesure pour s’adapter au territoire lyonnais.»
Encore au début de leur activité, Dario et Turkun Malcuit ne se versent pas de salaire pour le moment. Si leur carnet de commandes est déjà bien rempli, les livraisons n’ont pas encore commencé. Leurs clients dépendent d’une aide financière des Voies navigables de France (VNF). L’établissement public prend en charge le surcoût de la livraison fluviale, par rapport à une livraison routière, afin d’inciter les entreprises à faire appel à Ecofluv et soutenir son implantation.
Transporter plus que des camions
Historiquement, c’est par voie fluviale que sont convoyées les charges lourdes et volumineuses. «Mais ce qui est neuf depuis cinq ou six ans, c’est que les responsables de logistique urbaine utilisent aussi l’eau pour transporter des cartons, des chaussures, des choses très légères, comme des aliments», remarque Céline Ohresser, responsable adjointe au service développement de la direction territoriale de VNF.
Evoli acheminera autant les déchets verts de la Métropole que les matériaux du BTP ou les gravats, mais il pourra également livrer des colis de particuliers jusqu’à des voitures de plusieurs tonnes. Il desservira trente-cinq quais de livraison, localisés entre Vienne et Villefranche-sur-Saône.
«Evoli récupère aussi les boues, c’est-à-dire les eaux usées et domestiques de cuisine ou des WC des bateaux», précise Turkun Malcuit, la dirigeante de l’entreprise. D’ordinaire, des camions-citernes se chargent de la collecte. En prenant la relève, il remplacera encore jusqu’à 12.000 camions par an.
Le nom de ce bateau multifonctions était tout trouvé: Evoli, pour l’évolution qu’il apportera à la logistique urbaine. «C’est aussi la contraction des noms Evy et Olivia, nos filles», sourit la responsable. Un projet, comme un nouvel enfant. Le rêve se concrétise enfin quatre ans après en avoir «dessiné les plans pour la première fois, un soir de Noël».
Plus fiable sur de courtes distances
À Confluence, le trafic est dense. Le bateau laisse derrière lui les voitures et les camions, pratiquement à l’arrêt au croisement de l’A7 et du pont Pasteur. Une ambulance essaie de se frayer un passage au loin. Les sirènes accompagnent sa difficile traversée.
Evoli avance à une allure de 20 kilomètres/heure. Sur les fleuves, il ne lui faut que quelques minutes pour rejoindre les quais de chargement. Idéal pour livrer les marchandises sur de courtes distances. «On sait que le fluvial est plus lent. Mais comme il n’y a pas de risques d’accidents et que l’on peut prévoir la congestion d’un fleuve, on arrivera à l’heure. La fiabilité de la livraison par bateau est donc meilleure», analyse Pierre-Yves Péguy, directeur du Laboratoire aménagement économie transports à l’Université Lumière-Lyon-II.
Ces aléas de transport plus faibles permettent aussi de mieux satisfaire les clients, assure Emilie Carpels, directrice de projet fluvial chez Ikea France. À Paris, depuis un an et demi, le géant de l’ameublement livre les bricoleurs, par l’intermédiaire d’un bateau de Sogestran. «Grâce à la Seine, on sait que l’ensemble des commandes est au centre de Paris au petit matin, et qu’elles sont prêtes à être livrées. En 2023, ce système a évité l’entrée de 8.000 camions dans la capitale.»
Livraison décarbonée dans le dernier kilomètre
Couplé à une livraison décarbonée du dernier kilomètre, généralement effectuée par vélos-cargos ou camions électriques, de la zone de déchargement jusqu’au destinataire, le transport fluvial produit cinq fois moins de CO2 par tonne transportée par kilomètre que la voie routière.
En outre, le dispositif améliore la qualité de l’air dans une métropole lyonnaise souvent soumise à des pics de pollution aux particules fines. «L’objectif, c’est moins d’encombrement de l’espace et moins de pollution», rappelle Pierre Athanaze, délégué à l’Environnement et aux Fleuves (aménagement et usage) à la Métropole.
Alors que les quais lyonnais ne sont pas toujours adaptés à la livraison, la majorité écologiste fait une promesse: «Notre responsabilité c’est d’aménager des espaces de logistique sur les quais de livraison. On a commencé à le faire et on continuera progressivement», assure le vice-président de la Métropole.
Après Paris, Strasbourg et Lyon, d’autres villes étudient le développement du transport fluvial, comme à Toulouse, Mulhouse, Reims ou Avignon. «Mais demain, en ville, toutes les marchandises ne seront pas livrées par bateau. Il faut des fleuves, navigables et assez larges, des infrastructures de livraison, de chargement et de stockage disponibles, des temps de livraison longs et des coûts qui englobent les ruptures de charges [c’est-à-dire la manutention des marchandises, ndlr]», rappelle le chercheur Pierre-Yves Péguy.
La livraison fluviale ne pourra pas se substituer totalement aux camions en centre-ville: «On imagine Evoli comme une chaîne logistique. On est tous collègues. Plus il y aura des bateaux de logistique urbaine, mieux ce sera pour l’environnement et pour la ville», estime Turkun Malcuit. Ce n’est pas pour rien que le bateau est amarré auprès de BFT Transports, entreprise de logistique par camion et futur partenaire d’Ecofluv.