The Newsroom 27

26 juillet 2024

La menace d’une inondation destructrice plane toujours sur les habitants de Kłodzko

Au pied de la chaîne de montagnes des Sudètes, une petite ville polonaise vit tant bien que mal avec le risque de submersion accru par le dérèglement climatique.

Marius Bihel

Polski

La menace d’une inondation destructrice plane toujours sur les habitants de Kłodzko

À Kłodzko (Pologne).

Dans l’église Notre-Dame du Rosaire de Kłodzko, trois traits indiquent le niveau atteint par l’eau lors des plus grandes crues qui ont submergé cette ville du sud-ouest de la Pologne. La marque la plus haute culmine à 344 centimètres, et date de la nuit du 7 au 8 juillet 1997.

Cette année-là, la Nysa Kłodzka, qui traverse la région du sud vers le nord, déborde. La cause? Des pluies torrentielles sur les montagnes des Sudètes qui entourent la ville de Kłodzko. Le courant s’accélère sur la rivière qui se jette dans l’Oder, lui aussi en crue, qui submerge la ville de Wrocław: c’est «l’inondation du millénaire».

Au soir du 7 juillet 1997, la digue qui protège le quartier Nysa, au sud de l’île Piasek à Kłodzko, se rompt sous la force des eaux de la Nysa Kłodzka. En une quinzaine de minutes, cette zone résidentielle se remplit «comme une baignoire», raconte Bożena Krawczyk-Szymańska. L’eau ravage son appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble en béton de ce quartier construit dans les années 1960. Du temps où Kłodzko s’appelait Glatz, les Allemands utilisaient ce terrain comme zone inondable.

Le bilan de l’inondation est lourd. 11% de la ville est submergée, près de 600 logements sont détruits. «Dans la cour de mon immeuble, il y avait deux cadavres, un dans les poubelles, l’autre dans un arbre», se rappelle Anna, une riveraine, avec émotion.

Au moins une dizaine de personnes sont mortes dans la ville de Kłodzko, et une vingtaine dans tout le powiat«L’eau a tout emporté sur son passage, c’était comme un tsunami», se souvient Ryszard Niebieszczański, wójt de la gmina de Kłodzko au moment de l’inondation de 1997. «Ici, quand il y a une inondation […], l’eau charrie des cailloux, des arbres entiers avec une force impressionnante […] mais aussi des bâtiments, des toits voire des véhicules», explique Marek Źródłowski, directeur du bureau local de l’entreprise publique Wody Polskie, chargée de la protection contre les inondations.

En 1997, l’eau a emporté des ponts, des habitations, des camions et toutes sortes de débris, causant des dégâts considérables. «Il y avait peu de lumière, nous entendions juste beaucoup de bruit», se remémore Aleksandra Błąkała, habitante de Długopole-Zdrój.

Vue du quartier Nysa depuis un immeuble de la rue Malszewskiego. Lors de l’inondation de 1997, l’eau a atteint le premier étage de ces bâtiments. Un corps a été retrouvé dans un arbre. | Marius Bihel

Kłodzko, «un nœud hydrologique»

«Ici la vie s’est toujours organisée à proximité des rivières pour faciliter l’accès à l’eau. Dans les villages, la plupart des bâtiments sont construits le long de rivières», indique Piotr Marchewka, élu au conseil du powiat de Kłodzko. Depuis quelques années, les communes ont interdit les constructions sur les zones inondables, «mais les gens ont oublié: dans trois ans, cela fera trente ans qu’il y a eu l’inondation du millénaire […]. Beaucoup de gens ont reconstruit leurs maisons au même endroit.»

«Sur les quatre dernières années, les états d’alerte inondation ont été déclenchés quatre fois par an», raconte Jan Kalfas, directeur du service de gestion des crises du powiat de Kłodzko. Dans cette région, les inondations sont caractéristiques des terrains montagneux. Du fait du dénivelé, l’eau submerge rapidement mais redescend tout aussi vite. La Nysa Kłodzka traverse la région sur 62,82 kilomètres. Elle est alimentée par un réseau d’affluents de plusieurs centaines de kilomètres qui descendent des montagnes des Sudètes.

«Tous les cours d’eau se jettent au centre, donc dans la Nysa Kłodzka», explique Radosław Stodolak, hydrologue de l’Université des sciences de l’environnement (Uniwersytet Przerodnicze) de Wrocław. Kłodzko est le point de convergence de ce bassin versant. La rivière traverse la ville sur environ 10 kilomètres. Elle y est alimentée par sept de ses affluents, dont les deux principaux: la Bystrzyca Dusznicka sur sa rive gauche et la Biała Lądecka sur sa rive droite. Kłodzko est un «nœud hydrologique où les ondes de crue se cumulent», décrit Marek Źródłowski.

Un autre facteur augmente le risque d’inondation dans le powiat de Kłodzko: les pluies torrentielles qui frappent régulièrement les montagnes des Sudètes. Ces précipitations se concentrent plus précisément dans le massif du Śnieżnik, à l’est de la région, où la Nysa Kłodzka prend sa source. «Le risque d’inondation se concentrait toujours sur les mois d’été […]. Aujourd’hui on observe beaucoup d’inondations au printemps, voire en hiver», souligne Radosław Stodolak. En Pologne, le mois de février est le mois le plus sec de l’année. Pourtant, en 2024, «il est tombé 100% de pluie de plus que la normale».

Retenir la vague

L’Union européenne et la Banque mondiale soutiennent le projet de protection contre les inondations dans la vallée de Kłodzko. L’élément principal de cet investissement: quatre bassins de rétention afin de réguler le débit de la Nysa Kłodzka. Leur capacité de retenue cumulée s’élève à 16,7 millions de mètres cubes. Au total, un peu plus de 147 millions d’euros ont été investis, dont 73 millions proviennent du Fonds de cohésion de l’UE. L’objectif est de protéger Kłodzko. Le renforcement de la protection contre les inondations doit permettre de dynamiser l’économie locale.

Dans cette région qui attire 300.000 visiteurs chaque année, de nombreux bâtiments sont encore marqués par l’inondation de 1997. La façade de l’église Notre-Dame du Rosaire est toujours imbibée d’humidité. À Gorzanów, la maison de Roman Okrutny se trouve le long de la Nysa Kłodzka. En 1997, son rez-de-chaussée est inondé. «Les murs sont encore humides […], impossible de les sécher», affirme le retraité.

À Gorzanów, le long de la Nysa Kłodzka, une croix commémore l’inondation du 7 juillet 1997. Le niveau de l’eau est symbolisé par un trait bleu. | Marius Bihel

Les chantiers ont démarré en 2018 dans le powiat de Kłodzko. À Roztoki, sur la Goworówka, et à Boboszów, sur la Nysa Kłodzka, les bassins de rétention ont été mis en service en 2021 et 2023. À Krosnowice, sur la Duna, et Szalejów Górny, sur la Bystrzyca Dusznicka, les derniers travaux sont en cours.

Au cœur de ces infrastructures, un barrage verdurisé et une zone de retenue de plusieurs hectares. «Le bassin de rétention, c’est une prairie. Il y a un barrage mais l’écoulement de la rivière est ininterrompu. Il stocke l’eau uniquement en cas de crue», explique Radosław Stodolak, qui officie comme expert de la Banque mondiale. Ce type d’infrastructure a un impact moins important sur l’écosystème qu’un barrage avec une retenue d’eau permanente, qui peut engendrer «un changement de la faune, de la flore ou l’apparition d’un microclimat».

Tadeusz Szewczyk supervise le bassin de rétention de Roztoki pour Wody Polskie. Au sommet du barrage, il lance fièrement: «Regardez autour de vous comment l’installation a été bien conçue pour s’insérer dans le paysage.» Au loin, la vue est dégagée sur le massif du Śnieżnik. Tadeusz Szewczyk a participé à la construction du bassin pour l’entreprise Porr. Les bassins couvrent une surface qui va de 21 à 118 hectares (soit 29 à 165 terrains de football). Toutefois, l’ingénieur souligne que des milliers d’arbres ont été plantés sur chaque site pour compenser cet impact environnemental.

Tadeusz Szewczyk explique le fonctionnement du bassin de rétention de Roztoki. | Marius Bihel

La protection a un coût

«Chaque investissement a ses bons et ses mauvais côtés», confie Piotr Marchewka. Les bassins de rétention ont une seule fonction: la protection contre les inondations«Certains de ces bassins, celui de Szalejów Górny par exemple, devraient servir de lieu de baignade afin de stimuler le tourisme», estime Ryszard Niebieszczański, élu au conseil du powiat de Kłodzko.

Conformément aux accords de financement de l’UE, les bassins de rétention n’auront toutefois pas d’autres fonctions que la protection contre les inondations, cela pendant cinq ans après leur mise en service.

Leur construction a suscité l’émoi dans la région. «Il y a eu beaucoup de controverses […]. Là où cela impliquait un faible nombre d’expropriations, ça passait encore, mais quand cela impliquait des déplacements de populations plus importants, il y a eu une forte opposition», relate Piotr Marchewka. Les localisations des bassins de rétention ont été choisies de manière à minimiser les expropriations et les déplacements de population.

À Boboszów, Katarzyna Wróbel et sa famille habitaient sur le lieu du nouveau bassin de rétention. Dès 2012, ils ont appris que leur exploitation équestre se trouvait sur le terrain de l’infrastructure. Pendant plusieurs années, ils ont vécu dans l’incertitude. «On nous a dit que l’on toucherait une compensation […]. Mais la somme proposée était dérisoire. C’était beaucoup de stress, nous avions une cinquantaine de chevaux à l’époque et nous vivions avec nos sept enfants.» Avec l’aide d’un cabinet d’avocats, Katarzyna Wróbel et son mari ont obtenu une compensation supérieure à ce qui leur était proposé. «Nous avions commencé à construire notre vie sur ce terrain à partir de rien, c’est douloureux qu’on nous le confisque, mais nous prenons notre destin en main.»

Originaire de Kłodzko, Przemysław Ziemacki est journaliste et s’est intéressé à la protection contre les inondations. Il ne doute pas de la capacité des bassins à retenir l’eau des crues «mais ils signifient la destruction du caractère naturel des rivières, leur lit est modifié, le paysage n’est plus le même». Pour lui, l’argent investi dans les bassins de rétention aurait pu servir à développer des mécanismes de rétentions naturels «comme la restauration de tourbières ou d’autres types de zones humides […]. Ici en montagne, pas besoin de grands investissements, il s’agit surtout d’arrêter la surexploitation des forêts.»

Le bassin de rétention de Boboszów, d’une capacité de 1,4 million de mètres cubes et d’une hauteur maximale d’accumulation de 17 mètres. C’est la seule infrastructure du projet construite sur la rivière Nysa Kłodzka, dont la source se trouve une dizaine de kilomètres plus loin, dans le massif du Śnieżnik. | Marius Bihel

«Le danger n’a pas disparu pour autant»

«Espérons que les travaux de Wody Polskie permettront d’éviter une nouvelle catastrophe», confie Bożena Krawczyk-Szymańska. Depuis plusieurs années, elle a quitté le quartier Nysa pour une zone moins risquée.

Après d’importantes précipitations, du 21 au 24 décembre 2023, les bassins de rétention ont été mis à contribution. «En trente minutes il est tombé 10 centimètres d’eau […]. Le niveau de la rivière a atteint 3,20 mètres», se remémore Francziszek Niemiec, opérateur du bassin de Roztoki. «Ces infrastructures permettront de diminuer les risques, mais le danger n’a pas complètement disparu», s’inquiète Radosław Stodolak.

Lors d’une inondation record comme celle de 1997, «les vagues qui déferlent sur les rivières charrient des dizaines de millions de mètres cubes d’eau». Or, la capacité de rétention cumulée dans la région atteint à peine les 20 millions de mètres cubes. Les bassins de rétention peuvent «récupérer une partie de cette eau mais certainement pas tout», explique l’hydrologue. Avec une catastrophe aussi importante, la nature l’emporte. «Il n’y a pas de système de protection contre les inondations qui serait sûr à 100%», ajoute-t-il.

Les bassins de rétention aideront à atténuer une inondation dans le scénario où la Bystrycza Dusznicka et la Nysa Kłodzka entreraient en crue, mais si c’est la Biała Lądecka, il n’y a pas de barrages ou de bassin de rétention. Selon Radosław Stodolak, une onde de crue sur cet affluent a une probabilité importante de se synchroniser avec une onde de crue sur la Nysa Kłodzka: «Le défi consiste à limiter la taille de l’onde de crue sur les affluents avant que le chevauchement des ondes de crue ne provoque des inondations sur la rivière Nysa Kłodzka et dans les communes situées le long de cette rivière.»

La vallée de la Biała Lądecka est trop densément peuplée pour y construire un bassin de rétention. À terme, Marek Źródłowski, directeur de l’antenne locale de Wody Polskie, espère que la capacité de rétention de la région pourra être augmentée afin d’«éviter la cumulation des ondes de crues à Kłodzko».

Franciszek Niemiec, opérateur du barrage de Roztoki, observe la structure du barrage en aval. | Marius Bihel

Dans les années 1970, Filip Fediuk, voyant, aurait prédit qu’à Kłodzko, le jour où les trois 7 se rencontreront, le loup boira de l’eau. L’inondation du millénaire a eu lieu le 7/7/1997, et ce loup, sculpté sur une vieille bâtisse du centre-ville, a effectivement bu. Beaucoup d’habitants de la région racontent cette légende quand ils reviennent sur l’inondation.

Certains prétendent que le voyant a prédit que le lion boirait aussi de l’eau. Près de l’hôtel de ville de Kłodzko, il existe une fontaine surmontée d’une sculpture représentant un lion. Le bâtiment est perché une dizaine de mètres plus haut que le loup. Il est peu probable que la Nysa Kłodzka monte aussi haut, mais comme le constate une jeune habitante de Kłodzko, «on ne peut pas contrôler la nature». À l’heure des transformations climatiques, il n’est pas à exclure qu’une autre grande inondation frappe à nouveau la vallée de Kłodzko.

Union européenneCet article a été réalisé dans le cadre du projet The Newsroom 27, qui a reçu le soutien financier de l'Union européenne. L'article reflète le point de vue de son auteur et la Commission européenne ne peut être tenue responsable de son contenu ou usage.