The Newsroom 27

30 septembre 2024

En République tchèque, des moulins remis au goût du jour pour rapprocher les citoyens de la culture et de l’art

Avec l’aide de financements locaux et européens, l’architecte Lukáš Smetana donne une deuxième vie aux magnifiques moulins de Pardubice, à 100 kilomètres de Prague. Objectif: faire de cet endroit un haut lieu culturel de la région.

Eliška Volencová - Maud Cigalla

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En République tchèque, des moulins remis au goût du jour pour rapprocher les citoyens de la culture et de l’art
Les moulins rénovés sont rapidement devenus un point de repère de la ville de Pardubice. | Eliška Volencová

À Pardubice (Bohême orientale, République tchèque).

Pendant plus d’un siècle, les meules de la ville de Pardubice (90.000 habitants), à 100 kilomètres à l’est de Prague (République tchèque) ont moulu du blé. Puis les moulins automatiques historiques, conçus par le célèbre architecte tchèque Josef Gočár, ont cessé de fonctionner en 2013. Comme dans beaucoup d’autres régions industrielles en Europe, les moulins ont perdu leur fonction originale et ont commencé à se dégrader progressivement.

Deux ans plus tard, les meuniers ont proposé leurs moulins à des prix défiant toute concurrence, ce qui a suscité l’intérêt des promoteurs. Le jour de l’inspection préalable à la vente pour les acheteurs potentiels, de nombreuses voitures luxueuses se sont garées devant les moulins. Un seul acheteur est venu en train; contre toute attente, c’est lui qui a réussi à mettre le grappin sur les moulins, pour y vivre avec sa famille et pour leur donner une nouvelle vie.

À 38 ans, Lukáš Smetana a décidé d’investir l’argent mis de côté grâce à sa petite entreprise dans une propriété en République tchèque. L’idée de départ, qui consistait à investir dans deux appartements dans un quartier en vue de la capitale, Prague, a été bousculée lorsqu’il a découvert que des moulins historiques étaient à vendre pour un prix presque équivalent.

«Nouveau point de repère»

Grâce à sa formation d’architecte et aux avis d’autres grands professionnels du domaine, il a vite perçu le potentiel de ces moulins. «J’ai contacté des organisations culturelles qui y organisaient des événements culturels de temps à autre. L’architecte Josef Gočár a créé un bâtiment que les gens ont aimé dès le premier regard –lorsqu’il répondait encore à sa fonction initiale. Il est ensuite devenu un nouveau point de repère dans la ville», explique-t-il.

L’architecte a vite compris que les coûts d’exploitation mensuels risquaient d’être élevés. C’est pourquoi il a proposé un prix encore plus bas que celui initialement prévu. Étonnamment, son offre s’est avérée être la plus élevée et, peu de temps après la vente, Lukáš Smetana et sa femme se sont emparés de l’imposant trousseau du bâtiment, composé de 212 clés. «Nous l’avons acheté car nous croyions au potentiel d’une friche industrielle proche du centre-ville, mais au début, nous n’avions pas d’idée précise sur ce que nous voulions en faire», reconnaît-il.

Le bâtiment principal d’Automatic Mills à Pardubice, en République tchèque, a fait l’objet d’une transformation réussie. | Eliška Volencová

La question était pressante. Lukáš Smetana devait réduire les coûts mensuels et s’est mis à chercher de l’inspiration ailleurs, principalement en Allemagne. Et comme il n’a pas été trop difficile de trouver des exemples réussis de transformations de friches industrielles, une nouvelle ère prometteuse pour ces moulins automatiques a pu s’ouvrir.

Nouveau souffle

Lors de la seconde moitié du XXᵉ siècle, la production dans de nombreux sites industriels a cessé. Avec l’émergence du marché mondial, qui a considérablement modifié la dynamique des chaînes de production, les besoins de la société européenne ont également évolué. La production industrielle étant largement externalisée en dehors du vieux continent ou concentrée dans de nouveaux centres, la demande de services, de technologies et de projets créatifs a explosé. C’est le début de l’ère post-industrielle.

Cette transition a laissé derrière elle des milliers de bâtiments industriels à l’avenir incertain. Les centres de production autrefois florissants sont devenus des villes fantômes inutiles, occupant souvent les précieux terrains des zones urbaines. Un grand nombre de ces sites ont été classés patrimoine culturel, comme ce fut le cas pour les moulins automatiques de Pardubice. Mais cela ne suffit pas à les sauver. Les terrains vacants sont une denrée rare dans les centres urbains modernes. C’est pourquoi l’adaptation d’un ancien bâtiment industriel unique à de nouvelles fonctions semble s’imposer comme la solution la plus efficace.

Les créateurs et les hommes d’affaires du monde occidental ont progressivement pris conscience du potentiel des bâtiments industriels à partir des années 1960, mais le véritable essor de la transformation des friches industrielles ne s’est produit qu’au cours des deux ou trois dernières décennies.

Aujourd’hui, le concept devient accessible aux créateurs qui vivent en dehors des grandes villes occidentales, ce qui ouvre la porte aux aspirations de la société, dans les capitales comme dans les régions: des espaces pour de nouvelles idées et la construction d’une communauté.

Dans les années 1990, le débat public s’est doté d’un nouveau terme: les pôles créatifs. L’idée de rassembler plusieurs entreprises et initiatives créatrices «sous un même toit» s’est avérée fructueuse, par exemple à Berlin, désormais célèbre pour ses nombreux sites culturels animés construits sur d’anciens espaces industriels.

Les moulins Automatic sont une pièce d’architecture unique, conçue à l’origine par Josef Gočár. | Eliška Volencová

Ces pôles ont non seulement conquis le cœur des créateurs locaux et des citoyens ordinaires qui viennent pour se rassembler et se détendre, mais également de touristes du monde entier qui sont tombés sous le charme de l’atmosphère unique se dégageant de ces lieux. La transformation de ces sites a stimulé le potentiel créatif de la ville et a contribué à sa prospérité économique.

«Ces projets donnent un nouveau souffle aux zones urbaines en déclin. Loin de moi l’idée de laisser la campagne de côté, mais en ville, ces bâtiments sont exposés à la vue d’un plus grand nombre de personnes qui passent devant chaque jour. Grâce à cette transformation, l’activité économique redémarre, de nouvelles offres d’emploi voient le jour, les investisseurs commencent à flairer l’opportunité et la qualité de vie globale des habitants s’améliore», explique l’universitaire tchèque Petr Kunc, qui travaille sur le sujet.

Une négociation brique par brique

Aussi prometteuse la solution de la transformation des friches industrielles soit-elle, les investisseurs se heurtent souvent à des obstacles imprévus lorsqu’ils mettent leurs plans en pratique.

Les coûts étant généralement très élevés, la revitalisation nécessite la coopération des secteurs publics et privés. Les investisseurs comptent souvent sur des subventions pour donner vie à leurs idées, des processus qui peuvent s’avérer longs et bureaucratiques. Les moulins automatiques de Pardubice ont bénéficié d’une subvention de 17 millions d’euros de la part de l’Union européenne, ce qui a permis de couvrir près de la moitié du coût total de la transformation. La ville et la région ont investi presque la même somme et ont racheté deux des trois bâtiments principaux. L’État et la fondation privée de Lukáš Smetana ont pris en charge le reste des dépenses.

Malgré quelques difficultés mineures rencontrées au cours du processus, Lukáš Smetana, le responsable du projet, se réjouit de la coopération globale et de la répartition des fonds. «Je pense que les subventions ont beaucoup de sens, particulièrement dans les domaines de l’éducation et de la culture. Je sais que j’aurais fait mon possible pour que le projet voie le jour, même sans les fonds de l’UE, mais il aurait fallu se passer de nombreux éléments intéressants, comme l’installation d’un chauffage géothermique respectueux de l’environnement dans le bâtiment. Le site aurait pris des allures plus commerciales et aurait été moins ouvert au public», explique-t-il.

Un autre défi pour les investisseurs dans les friches industrielles réside souvent dans l’inscription au patrimoine culturel de ces sites, une fierté pour beaucoup. Les moulins automatiques ont été classés patrimoine culturel national en 2014, à peine un an après leur rachat par Lukáš Smetana. Cela signifie que chaque brique a fait l’objet d’âpres négociations avec le bureau de préservation historique. Ce n’est que grâce au soutien d’architectes renommés que Lukáš Smetana a pu les convaincre d’approuver ses plans.

Parier sur la vanité des gens

Lukáš Smetana prévoit de construire un complexe qui serait rentable sur le long terme, ou du moins qui ne fonctionnerait pas à perte. «Je suis un homme simple. Je me demandais comment des sports tels que le football ou le hockey pouvaient à ce point mobiliser les foules, mais pas les projets culturels. J’ai ensuite compris que les gens voulaient être vus», explique-t-il.

Aujourd’hui, Lukáš Smetana met en place une collaboration avec des personnes influentes, en proposant des activités de teambuilding et de loisirs pour les hommes d’affaires et leurs employés. «De cette manière, nous rapprochons la culture et l’art de personnes qui, a priori, ne s’y intéresseraient pas forcément, et nous créons l’image d’un lieu où les personnes veulent être vues. Après tout, les moulins accueillent près de 150.000 visiteurs par an, ce n’est pas rien», affirme-t-il. Il admet toutefois que l’activité est encore loin d’être rentable, puisqu’il espère atteindre le seuil de rentabilité de l‘espace public d’ici trois ans environ.

Ce qu’il apprécie le plus dans ce projet, c’est le sentiment d’appartenance à une communauté«C’est comme si nous étions dans mon jardin», déclare-t-il lors d’un entretien sur la place située entre les bâtiments des moulins. «Je suis très famille, et cette ville est comme un gros village pour moi. Je ressens un fort sentiment d’appartenance à la communauté; les habitants savent comment profiter de ces espaces publics.»

Un sentiment qui est partagé par les visiteurs. La plupart des personnes qui viennent visiter les moulins sont des habitants de la ville; seuls 10% sont des touristes qui viennent de plus loin. Nous sommes vendredi, en début d’après-midi: quelques personnes prennent un café et des glaces dans un café local et un food truck installés sur la place.

Salle d’atelier pour les étudiants en design de mode. | Eliška Volencová

Les parents avec des enfants en bas âge semblent tout particulièrement apprécier cet espace, qui offre à la fois une aire de jeu et de repos. «Depuis que les moulins ont ouvert au public, à l’automne dernier, nous venons ici régulièrement pour boire un café. Nous avons même assisté à quelques événements culturels, à des concerts et à un marché avant Noël et c’était super», déclare un jeune couple assis au soleil sur la place, tandis que leur bébé dort dans une poussette à côté d’eux.

Une galerie régionale, une galerie d’art contemporain avec des ateliers en résidence, un centre d’enseignement ultra-moderne pour les disciplines techniques géré par la ville, une terrasse panoramique, un café, des cours de yoga en plein air et des événements culturels… Ce ne sont là que quelques exemples des activités proposées par le site des moulins automatiques.

La deuxième phase de reconstruction prévoit d’autres aménagements, notamment de nouveaux petits commerces, une boulangerie et trois appartements résidentiels. L’un d’entre eux restera aux mains de la famille de Lukáš Smetana. «Nous habitons déjà à proximité et nous souhaitons nous installer définitivement ici. Je considère déjà les moulins comme ma maison», conclut le responsable du projet.

Union européenneCet article a été réalisé dans le cadre du projet The Newsroom 27, qui a reçu le soutien financier de l'Union européenne. L'article reflète le point de vue de son auteur et la Commission européenne ne peut être tenue responsable de son contenu ou usage.