The Newsroom 27

2 août 2024

Les emblématiques bains publics de Bratislava vont renaître

Après des décennies d’abandon, cet édifice emblématique de la capitale slovaque fait l’objet d’un ambitieux projet de restauration.

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Les emblématiques bains publics de Bratislava vont renaître
D'abord utilisés pour l'hygiène des habitants de Bratislava, les bains ont acquis une fonction sociale à partir de 1914. | OPPS Archittetura studio

Imaginez un lieu historique connu de tous les citoyens, même ceux qui n’y sont jamais allés. Utilisés dans leur fonction première par leurs ancêtres, immortalisés au fil du temps par différents artistes, les bains municipaux de Grössling occupent une place légendaire dans le cœur des habitants de Bratislava, la capitale de la Slovaquie.

Après des décennies d’abandon et de déclin, la ville a enfin obtenu les financements nécessaires pour offrir une nouvelle vie à ce bâtiment et en faire un endroit moderne et polyvalent, accessible aux habitants comme aux touristes. C’est l’histoire d’un lieu communautaire du passé qui est toujours en quête de son avenir.

En 1895, lors de la construction du bâtiment, les habitants n’avaient pas de salle de bains chez eux. Les bains étaient donc avant tout utilisés pour l’hygiène quotidienne. À l’origine, l’édifice appartenait à une banque qui, au vu de l’ampleur du succès, a décidé d’y ajouter une fonction sociale en construisant des bassins destinés aux échanges, achevés en 1914.

«Il est important de noter [pour l’histoire des bains] que l’âge d’or s’étend de la fin de la construction du bâtiment en 1914 jusqu’en 1941, lorsque les bassins étaient principalement utilisés par des clubs de natation juifs. Après l’introduction du Codex juif, c’était fini», explique Gabor Bindics, le directeur du projet de reconstruction. Le Codex juif slovaque faisait partie des lois antijuives les plus strictes d’Europe, après celles mises en place par l’Allemagne à l’époque.

La piscine principale des bains publics en 1914. | OPPS Archittetura studio

Un concours international

L’objectif du projet de reconstruction est de créer un endroit communautaire qui corresponde à l’essence du lieu –des bains de relaxation, une piscine, un sauna, ainsi qu’un espace bibliothèque et un café. Pour relier ces différentes parties de manière logique, l’Institut métropolitain de Bratislava (MIB) a organisé un concours d’architecture international. Parmi les soixante-dix-sept projets présentés par dix-sept pays, l’Italie s’est hissée à la première place, avec un projet proposé par le studio OPPS Archittetura de Florence.

«En Italie, nous n’avons pratiquement pas vécu l’ère de la construction. Tout n’est que reconstruction, récupération, évolution. Il existe de nombreuses différences [entre les processus de construction et de reconstruction], mais nous pouvons en citer trois principales», explique Antonio Salvi, qui travaille pour OPPS Architectura.

«La première différence réside dans la relation avec les constructions existantes, poursuit-il. On peut choisir d’adopter une approche de continuité ou d’opposition. La deuxième différence est ce que j’appelle l’inattendu. Je pense que chaque projet de construction a son lot d’imprévus. La dernière différence, et peut-être la plus importante, est plus politique, plus culturelle, car il s’agit d’améliorer une situation existante, surtout si le bâtiment présente une valeur historique.»

«Le bâtiment de Grössling a fait l’objet d’une construction en plusieurs étapes. Il présente plusieurs couches qu’il faut décomposer et identifier. Il s’agit de trier ce qui est à garder et à intégrer dans le nouveau programme», détaille Peter Lényi, directeur de la section du concours et membre du jury du MIB.

«La plupart des centres communautaires offrent un espace pouvant être utilisé à de multiples fins. En tant qu’espaces polyvalents, ces bâtiments se prêtent aussi à des activités sociales ou communautaires qui n’ont pas toujours été prévues lors de leur création, explique de son côté Juraj Suchánek, qui travaille pour l’Institut de développement urbain, une organisation citoyenne située à Bratislava. Il est également important de gérer correctement ces espaces afin d’exploiter au maximum leur potentiel et de proposer des activités d’intérêt dans la région. Il n’y a pas que la dimension technique de la construction qui entre en jeu. Les bâtiments doivent pouvoir répondre efficacement aux besoins des habitants, qui évoluent avec le temps.»

Visualisation 3D du projet de rénovation de la piscine principale des bains de Grössling. | OPPS Archittetura studio

Au milieu des crises, la question du budget

La ville de Bratislava apporte une contribution financière, des bâtiments et des terrains. Actuellement, le projet en est au stade de l’appel d’offres public, qui permet de sélectionner les entreprises qui seront impliquées dans la reconstruction, sur la base de l’évaluation du projet et de l’offre proposée, comme l’explique Antonio Salvi. «La question du budget est importante, car le concours remonte à 2020. Depuis, de nombreuses crises ont éclaté en Europe et dans le monde. Un projet d’une telle envergure aura donc des implications macroéconomiques», explique ce dernier.

La guerre en Ukraine, la crise énergétique qui s’est ensuivie et le prix des matériaux influencent non seulement la vie quotidienne des citoyens, mais aussi des projets à plus grande échelle comme celui-ci. La hausse des prix de l’électricité et du gaz s’est également accompagnée d’une baisse des salaires tout au long de la durée du projet.

«La ville avait un tel désir de construire, de créer, d’aller de l’avant… En même temps, elle disposait de plus de ressources qu’à l’heure actuelle. Si le projet de restauration des bains municipaux de Grössling était lancé aujourd’hui, je n’ai aucune idée de la tournure que prendraient les événements», déclare Peter Lényi.

Artistes, photographes et cinéastes

Avant de finaliser la mission pour le concours, le MIB a lancé un processus participatif pour mieux connaître les attentes des citoyens de Bratislava vis-à-vis du projet. Ces derniers, qui n’ont pas connu le bâtiment dans le contexte du siècle précédent, bénéficient toutefois des échos positifs d’autres pays, notamment les bains de Budapest, connus dans le monde entier. Les bains hongrois, qui fonctionnent depuis plus d’un siècle, constituent une véritable source d’inspiration pour Grössling.

«L’esprit du lieu fascine les artistes, les photographes et les cinéastes», déclarent Adam et Linda Cisarovi, membres du projet Cisarove. Ce duo d’artistes a travaillé sur une illustration de Grössling. Pendant la longue période de fermeture, le lieu s’est doté d’une part de mystère, attisant la curiosité des artistes qui avaient accès à des documents d’archives ou à des visites guidées, pour se faire une idée de l’architecture du bâtiment et rappeler au public son existence.

Une inspection du site réalisée par l’équipe d’architectes. | OPPS Archittetura studio

Pour un premier contact avec Grössling, l’idéal est de commencer par les rues calmes de Medená (Cuivre) et de Kúpeľná (Bain), près de l’ancienne entrée du bâtiment, qui date de 1895. Vu de l’extérieur, l’édifice n’a rien d’extraordinaire, mais, en y regardant de plus près, on remarque des vestes d’ouvriers accrochées aux fenêtres, ce qui en dit long sur son état actuel.

En s’approchant de la future entrée et de la partie bibliothèque du bâtiment, on peut déjà s’imaginer le futur accueil, l’espace réservé aux enfants, les bassins et les vestiaires. Grössling dans son ensemble peut être contemplé du haut de la voûte originale datant de 1895, au premier étage. Les murs de certaines parties de l’édifice présentent différentes couches de couleurs, qui rappellent celles de la façade d’origine et des couches plus récentes de 1914.

Confiance dégradée

La communication avec les habitants semble particulièrement épineuse. D’après Gabor Bindics, le fait de communiquer des informations au public crée des attentes. La communication sur le projet est à double tranchant: elle permet de raviver le souvenir de cet endroit oublié dans l’esprit des citoyens, mais elle offre également aux plus sceptiques l’occasion de soulever des problèmes qui n’en sont pas vraiment. La présence de l’ancien bâtiment de Grössling sur des graphiques ou des photographies de différentes expositions (comme sur les photographies de la célèbre Mária Švarbová) ou sur des cartes postales dans des magasins de souvenirs ne suffit visiblement pas à convaincre tout le monde.

«Il s’agit d’un projet de reconstruction très difficile, avec des processus d’autorisation très exigeants», déclare Gabor Bindics, faisant ainsi le parallèle avec le secteur privé. Si le projet était lancé maintenant, il faudrait attendre trois à quatre fois plus de temps. Une situation qui s’explique non seulement par les longs délais d’attente dus aux plaintes des citoyens, mais également par le temps de traitement du Bureau antimonopole des contributions de l’UE et des procédures de gestion de la concurrence.

Compte tenu de l’histoire politique de la Slovaquie, de ses gouvernements passés (et de l’actuel), la confiance des citoyens dans les institutions s’est dégradée. Dans un contexte de scandales de corruption et de vol d’argent public, des procédures rigoureuses constituent le seul moyen de garder une forme de contrôle. «Nous essayons de prendre plusieurs mesures pour faire face à cette situation, nous souhaitons offrir aux citoyens l’opportunité de participer aux procédures», poursuit Gabor Bindics.

D’après un rapport de Transparency International Slovakia, la transparence n’est pas le point fort de Bratislava. La ville affiche en effet un faible score en ce qui concerne le budget et les contrats (41%), ainsi que la participation à la prise de décisions et les politiques personnelles (55% pour chaque composante). Toutefois, une bonne nouvelle vient nuancer ces résultats: trois quarts des villes slovaques présentent un score de transparence plus élevé qu’il y a quatre ans (les données datent de 2022).

Gabor Bindics le reconnaît, il aurait souhaité que les objections du public soient plus légitimes. Parmi les exemples de problèmes soulevés, on retrouve l’opposition à une rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite ou la crainte de la présence de personnes sans domicile fixe dans le parc. Cela traduit peut-être une peur du changement, le bâtiment étant à l’abandon depuis sa fermeture définitive en 1994.

«Un changement essentiel et positif»

Ces difficultés contrastent avec les résultats du processus participatif. Adam Pommer, qui travaille pour le fleuriste Kvetinaren, situé en face de l’ancienne entrée de Grössling, suit le projet depuis un certain temps déjà. Personne ne l’a contacté au sujet de la reconstruction, mais il n’en voit pas le besoin.

«Je pense, et j’en suis même sûr, qu’il s’agit d’un changement essentiel et positif. J’ai déjà hâte que le projet soit terminé. J’espère que cela donnera au quartier une valeur esthétique supplémentaire, que des touristes viendront de loin pour le visiter», explique-t-il.

Si l’aspect architectural du bâtiment soulève d’autres défis, ces derniers n’en demeurent pas moins liés de près ou de loin à la communication. «Le plus difficile, c’est de maintenir l’autonomie des différentes fonctions du lieu, tout en communiquant de manière globale sur le projet Grössling, précise Antonio Salvi. Il s’agit également d’offrir des services communs à toutes les fonctions, comme les plantes pour leurs bienfaits sur l’environnement. C’est un véritable travail de fourmi qu’il faut mener à bien. Personne ne le verra, mais c’est important.»

Du neuf avec du vieux

Les travaux devraient débuter l’été prochain, avec une ouverture finale prévue pour 2026-2027. D’après des calculs dont la fiabilité a été attestée, le bâtiment peut être construit en deux ans et la bibliothèque en un an.

«Si Grössling devient un bâtiment “multigenres”, une partie de l’esprit du lieu risque de se perdre, mais cela permettrait d’offrir un espace pour créer quelque chose d’unique, utile aux prochaines générations. Les plus jeunes pourraient ainsi écrire leur propre histoire avec ce lieu», expliquent Linda et Adam, membres du projet Cisarove.

L’architecture emblématique de Grössling, qui a résisté à l’épreuve du temps, préservée par les différentes photographies prises au fil de son histoire, revit aujourd’hui grâce aux visualisations numériques du bâtiment reconstruit, qui promettent un avenir plein d’espoir.

Visualisation 3D de la future bibliothèque des bains de Grössling. | OPPS Archittetura studio

«Outre le processus de reconstruction, véritable victoire après des années de dégradation, les nouvelles fonctions du bâtiment présentent un avantage considérable. Le café et la bibliothèque permettent d’exploiter plus efficacement le potentiel du lieu, en offrant un espace pour des activités communautaires», déclare Juraj Suchánek.
«C’est une bonne chose si le projet aboutit. Il en résultera quelque chose de nouveau, mais qui, paradoxalement, n’a jamais vraiment cessé d’être là», conclut Peter Lényi.

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