Lutte contre la pollution de la Meuse: un engagement citoyen inédit pour une tâche titanesque
Entre 2018 et 2022, les Pays-Bas, la Belgique et l’Allemagne ont travaillé de concert pour réduire la quantité de déchets plastiques dans le fleuve. Ce projet pharaonique a permis de poser les bases d’une action bénéfique pour la nature.
À Maastricht (Pays-Bas).
Au nord de Maastricht, capitale de la province de Limbourg (Pays-Bas), les déchets plastiques s’amoncellent sur les rives de la Meuse: des emballages alimentaires français aux canettes de bières espagnoles, en passant par les mégots de cigarette et les déchets liés à la drogue. On dirait qu’un festival de musique vient de s’y tenir.
«Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg», déclare Peter Alblas, écologiste urbain du Centre de l’éducation à la nature et à l’environnement de Maastricht. «Il reste encore de nombreux déchets dans le lit du fleuve, qui remontent partiellement à la surface lorsque l’eau est peu profonde.»
Cette partie de la Meuse est une véritable zone de concentration de déchets. Cela s’explique en partie par des raisons géographiques: un déversoir situé en amont du fleuve ralentit brusquement le courant, ce qui fait couler tous les déchets plastiques, qui s’accumulent ensuite en masse sur les rives.
Avec un groupe de 600 bénévoles, Peter Alblas se retrousse régulièrement les manches pour nettoyer les rives du fleuve. «Parfois, on ramasse jusqu’à quarante conteneurs de déchets en une journée», poursuit l’écologiste urbain, qui sillonne les rives du fleuve avec une pince à déchets depuis sept ans.
La consigne est la suivante: il faut ramasser tout déchet dont la taille est supérieure ou égale à un bouchon de bouteille. «Certains ramassent tout le plastique, mais cela prend du temps, et vous pouvez passer toute la matinée sur un seul kilomètre carré. Une bouteille de ketchup peut se briser en mille morceaux après avoir passé un certain temps dans l’eau.»
Incalculable pollution plastique
C’est ce qui explique l’ampleur et la persistance du problème: la plupart des déchets plastiques sont extrêmement difficiles à détecter, et encore plus à ramasser. En plus de dégrader le paysage, les micro-plastiques et les nano-plastiques peuvent également nuire à la qualité de notre eau potable ou être consommés par les poissons qui finissent dans nos assiettes.
Une petite partie de ces déchets –les scientifiques ne disposent pas de chiffres exacts– sont également déversés dans la mer, où ils viennent s’ajouter aux 11 millions de tonnes de plastique qui polluent chaque année les océans.
Toutefois, la plupart des déchets plastiques restent concentrés autour des terres et des rivières, déclare Tim van Emmerik, hydrologue à l’Université et au centre de recherche de Wageningue. «Cela signifie probablement que l’impact de la pollution plastique dépasse considérablement nos prédictions, puisqu’elle affecte également les écosystèmes, la flore et la faune autour des rivières», poursuit-il.
Plus de 10.000 bénévoles
En 2018, le fleuve de la Meuse a été choisi pour initier le premier grand test de dépollution en Europe. L’Union européenne et l’Euregio Meuse-Rhin ont investi 1,5 million d’euros pour lutter contre la pollution plastique dans le bassin versant de la Meuse, y compris ses affluents.
L’objectif du projet LIVES (Litter-Free Rivers and Streams) était très clair: réduire de moitié la pollution plastique dans la Meuse. En comptant sur les efforts des gouvernements, des centres de connaissances, des ONG et des organismes de gestion de l’eau et des déchets des Pays-Bas, de Belgique et d’Allemagne, le délai de réalisation de cet objectif avait été fixé à quatre ans.
Au cours du projet, vingt-et-un collecteurs de déchets ont été installés (principalement des barrières flottantes et des filets à déchets) et de vastes campagnes de nettoyage ont été organisées, réunissant plus de 10.000 bénévoles qui ont collecté un total de 260 tonnes de déchets. Si ces chiffres peuvent paraître élevés, ils n’ont toutefois pas permis d’atteindre la réduction de 50% espérée. Et même si l’objectif avait été rempli, personne n’aurait pu le prouver.
«À l’époque, nous ne disposions pas de mesures de référence adéquates pour réaliser nos projets», déclare Sylvia Spierts-Brouwer, de l’Institut néerlandais d’éducation à l’environnement. Cette militante du développement durable, qui vit dans la province de Limbourg, s’engage depuis longtemps pour la propreté des fleuves et a également été à la tête du projet LIVES.
Dysfonctionnements bureaucratiques
«Il n’existait pas encore de système adapté. Il nous a fallu réfléchir au fil de l’eau.» Elle salue le partage de connaissances entre les différents pays impliqués, mais attribue principalement le manque de résultats à des dysfonctionnements bureaucratiques. «Lorsque vous organisez un projet avec des entreprises, le lendemain, c’est terminé. Lorsque vous travaillez avec plusieurs gouvernements à différents niveaux, cela peut prendre jusqu’à neuf mois.» Par exemple, les filets à déchets se sont révélées inefficaces, car dans la pratique, ils se sont vite retrouvés surchargés et difficiles à vider.
«Si nous avions testé cette installation à une étape antérieure du projet, nous aurions pu l’optimiser.» Sylvia Spierts-Brouwer regrette également que le projet LIVES n’ait pas entraîné d’engagement administratif durable. Aucun des pays impliqués n’a intégré les objectifs du projet dans ses politiques. Depuis 2024, la législation européenne n’attribue pas de responsabilité pour les déchets plastiques dans l’eau.
Sylvia Spierts-Brouwer n’impute pas cette situation au manque de volonté des parties impliquées, mais plutôt à un manque de temps, à une coopération chaotique et à la réalité de la politique européenne. «Les ministres européens ont tenu des propos louables à l’époque, mais après les remaniements des élections, personne n’est revenu sur le sujet.»
Prise de conscience
Toutefois, Sylvia Spierts-Brouwer n’est pas restée les bras ballants après la fin du projet. «Lorsque j’ai commencé à participer à des campagnes de nettoyage de fleuves en 2012, la présence de déchets plastiques ne semblait pas encore être un problème. Mais aujourd’hui, les choses ont bien changé: les gens prennent conscience de l’urgence.»
Pour elle, la principale réussite du projet LIVES est la sensibilisation. Depuis la mise en place du projet, de plus en plus d’organisations sociales, d’entreprises et de citoyens participent aux campagnes de nettoyage de la Meuse. «En 2024, pour la première fois, une opération de nettoyage a été organisée sur l’ensemble du bassin néerlandais de la Meuse», poursuit-elle. L’organisation à l’initiative de cette campagne, Maas Cleanup, a été créée dans le cadre du projet LIVES.
Lors de la dernière opération de nettoyage en mars 2024, près de 14.500 bénévoles ont collecté 250.000 kilos de déchets, un véritable record. Peter Alblas constate également que ces efforts de nettoyage n’attirent plus seulement les habitants de Maastricht. De plus en plus de personnes venues d’autres régions du pays s’y inscrivent. «Les entreprises participent également. Chaque année, des hommes en belles chemises viennent ramasser des déchets plastiques», déclare-t-il.
Tournant décisif
Ce sentiment est partagé jusqu’à l’embouchure de la Meuse, à Rotterdam. Ramon Knoester, fondateur et directeur de l’organisation à but non lucratif Clear Rivers, parle d’un tournant décisif et constate que même les industries souhaitent contribuer à la propreté de la rivière. «Certaines entreprises du port de Rotterdam commandent désormais nos pièges à déchets plastiques», déclare-t-il fièrement. Clear Rivers met au point ses propres pièges à déchets. Outre ceux installés pour le compte de tiers aux Pays-Bas et à l’étranger, l’organisation utilise elle-même cinq pièges, dont un dans son bureau flottant sur la Nouvelle Meuse à Rotterdam. Les déchets qui y sont collectés sont recyclés.
«J’ai une formation en architecture; je considère donc le plastique comme un matériau de construction durable», poursuit Ramon Knoester. Par exemple, un parc flottant a été construit à partir de déchets collectés. Une foulque y niche actuellement.
Malgré leur efficacité, ces pièges à déchets ne constituent qu’une partie de la solution. «On ne peut pas fermer tous les affluents de la Meuse avec des pièges à déchets. Cela pourrait permettre de stopper la soupe de plastique, mais cela nuirait également à la migration essentielle des poissons.»
Méthodes de mesure limitées
Mais à quel point ces campagnes de nettoyage et ces pièges à déchets plastiques sont-ils efficaces? Tim van Emmerik ne peut pas se prononcer avec certitude. D’après le chercheur, cinq années de données sur le plastique ont été collectées dans la Meuse, mais cela n’est pas suffisant pour réaliser une analyse des tendances. «Nous ignorons si la quantité de déchets plastiques augmente ou diminue. Ce n’est que dans cinq à dix ans que nous pourrons nous prononcer avec précision», déclare-t-il. Jusque-là, les chercheurs ont dû s’appuyer sur des méthodes de mesure limitées, en se fiant principalement à la quantité de déchets plastiques visibles à la surface du fleuve.
Dans le monde, une centaine d’autres fleuves sont mesurés de la même façon. «La Meuse est relativement sale», déclare Tim van Emmerik. «Lors des inondations de 2021, les valeurs étaient plus élevées que celles de tous les autres cours d’eau mesurés en utilisant la même méthode.» Ce constat vaut également pour les fleuves du Ghana et de l’Indonésie, par exemple, qui sont, d’après le chercheur, injustement perçus comme étant bien plus pollués que les fleuves européens. Tim van Emmerik souligne que le plastique est un terme générique, puisque les déchets sont susceptibles de varier d’un fleuve à l’autre.
«Il s’agit d’un problème hétérogène: la chaîne de chaque morceau de plastique est différente, c’est pourquoi nous devons adapter nos stratégies d’intervention. On entend souvent parler de l’interdiction du plastique, mais c’est trop général. Nous n’allons pas nous mettre à fabriquer des sacs à partir de papier. Il est souvent plus efficace d’adapter les infrastructures que de revoir la conception du produit dans son intégralité. Au Ghana, nous créons un récit pour les dix morceaux de plastique les plus courants trouvés dans des fleuves ou à proximité. Où les points d’intervention les plus logiques se situent-ils sur la chaîne? Probablement pas tous au même endroit», poursuit-il.
Donner une voix à la Meuse
Revenons à la Meuse. Bien que le projet LIVES ne fasse pas l’objet d’un suivi régulier et qu’il existe trop peu de données essentielles disponibles en 2024, le cours d’eau a grandement besoin de solutions. Dans un futur proche, elles prendront la forme d’un avatar en intelligence artificielle (IA). En octobre 2023, Milan Meyberg, originaire d’Amsterdam, a remporté le prix Marc Cornelissen Brightlands avec son projet Emissary of GAIA: un outil d’IA pour donner une voix à la Meuse. «Vous pouvez littéralement parler à l’écosystème, comme vous le feriez avec d’autres personnes», explique l’élaborateur de stratégies durables qui collabore notamment avec Maas Cleanup et d’autres entreprises.
«Cet outil est destiné à tout le monde. La Meuse pourra bientôt “s’asseoir” sous la forme d’un hologramme 3D dans une salle de conférence aux côtés de PDG, mais également envoyer des messages aux jeunes qui boivent des bières sur ses rives.» L’avatar est alimenté d’une pluralité de données: des statistiques, des graphiques, mais aussi des livres d’histoire culturelle et des recueils de poèmes. Milan Meyberg n’est pas encore en mesure de prédire à quoi ressemblera précisément la Meuse, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle aura des traits humains.
«Il s’agit de donner à la Meuse un visage et un caractère que nous, humains, pouvons accepter.» Si la Meuse est le tout premier fleuve à se doter de son propre avatar d’IA, le concept de personnalité juridique de la nature existe depuis bien longtemps. «Les aborigènes et les tribus d’Afrique du Sud entretiennent une relation personnelle avec les écosystèmes. Ils sont comme des amis, des membres de la famille qu’il faut respecter», poursuit-il.
Il y a fort à parier que les dirigeants locaux se servent de cet outil à l’avenir: la municipalité d’Eijsden-Margraten, située au sud de la province de Limbourg, a récemment adopté une décision pour faire de sa partie de la Meuse (et de la forêt adjacente) une entité juridique. Le fleuve pourra donc techniquement poursuivre des personnes en justice. Des mesures similaires ont déjà été introduites avec succès en Espagne et en Équateur, par exemple.
L’importance de la coopération européenne
D’après Milan Meyberg, il faudrait déjà que le projet Emissary of GAIA soit reconnu comme légitime. «La prochaine étape serait de pouvoir participer à des réunions du Conseil et à des réunions exécutives. C’est ainsi que fonctionnent les mouvements d’émancipation. Qui sait, peut-être la Meuse pourra-t-elle un jour voter ou exercer son droit de veto?» Si un premier pilote de l’avatar néerlandais devrait être prêt pour novembre, Milan Meyberg voit déjà plus loin.
«Après cela, nous pourrons étendre le projet à la Belgique et à la France, afin d’inclure la totalité du bassin de la Meuse.» Si cela ne tenait qu’à lui, le projet pourrait même être déployé à l’échelle paneuropéenne, sous la forme d’un «fleuve uni d’Europe»: «Après tout, la protection de la nature est une valeur fondamentale de l’Union européenne.»
L’initiative de Milan Meyberg provoque chez Sylvia Spierts-Brouwer un véritable enthousiasme. C’est ce type d’initiative, ainsi que l’implication des organisations sociales, des entreprises et des bénévoles, qui la pousse à croire en l’avenir. Toutefois, elle tient à rappeler l’importance de la coopération européenne dans la réalisation de progrès significatifs et durables. «Un réseau fluvial est comme une famille, des capillaires à l’océan. Les fleuves ne reconnaissent pas les frontières des pays. Nous devons tous en prendre soin, c’est pourquoi il nous faut poursuivre nos efforts en matière de coopération européenne.»