En mer Baltique, un ambitieux tunnel sous-marin pour relancer l’économie de deux îles
En mer Baltique, un gigantesque projet routier et ferroviaire promet de faciliter les échanges entre les deux pays. Pour les habitants des deux îles que le futur tunnel doit relier, cette nouvelle infrastructure peut inverser la tendance du déclin économique.
Sur les îles de Lolland (Danemark) et Fehmarn (Allemagne).
En 2021, un chantier hors du commun a commencé en mer Baltique: la construction d’un tunnel sous-marin qui, une fois inauguré –en 2029 si tout va bien– sera le plus long du monde, s’étalant sur 18 kilomètres. Objectif: établir une nouvelle liaison ferroviaire et routière entre le Danemark et l’Allemagne, réduisant notamment le temps de trajet en train entre Hambourg et Copenhague de quatre heures et demie à deux heures et demie.
Le but est aussi –et peut-être même surtout– de redynamiser deux îles européennes, Lolland au Danemark et Fehmarn en Allemagne. Avec un budget de 8 milliards d’euros et un calendrier s’étalant sur trente ans, ce projet ambitieux présente des implications significatives pour les communautés locales, mais n’est pas sans créer quelques inquiétudes environnementales.
Si le Danemark finance majoritairement le projet, l’Union européenne (UE) y participe à hauteur de 1,1 milliard d’euros. La région transfrontalière, connue sous le nom de Fehmarnbelt, est par ailleurs considérée depuis 2006 comme une eurorégion, ce qui implique une coopération structurée des collectivités locales soutenue par le programme Interreg de l’UE.
Une initiative communautaire qui a notamment permis de faciliter la circulation transfrontalière, mais aussi conduit à anticiper la construction du tunnel pour qu’il apporte une vraie valeur ajoutée au développement régional. Pour les habitants de ces îles, le tunnel représente en effet bien plus qu’une simple infrastructure: il s’agit d’une véritable bouée de sauvetage pour leurs économies rurales en déclin.
Anders Wede, un ingénieur d’une quarantaine d’années, qui a des racines familiales à Rødbyhavn, considère le projet comme un moyen de rendre à sa ville natale sa gloire d’antan. La rue principale de la ville, autrefois animée, est aujourd’hui parsemée de panneaux «À vendre» qui symbolisent son déclin. Pour lui, il s’agit d’un projet personnel qui va lui permettre de reconstruire sa communauté.
La ville de Puttgarden, située sur l’île allemande de Fehmarn, est confrontée à un autre problème: elle enregistre une baisse significative de sa jeune population. En 2021, la tranche d’âge des 0-29 ans ne représentait plus que 24% de la population de l’île, soit environ 3.100 personnes sur un total de 13.000 habitants.
Lasse Stiehr, 26 ans, fait donc partie des rares jeunes qui continuent de vivre sur l’île. Il espère que le tunnel permettra non seulement d’endiguer ce phénomène de migration des jeunes, mais également d’améliorer la connectivité de l’île, en facilitant l’accès à de plus grandes villes telles que Copenhague.
Le tissu de notre société
Alors que l’Europe continue d’être confrontée à l’urbanisation, le tunnel pourrait bien bouleverser le destin de ces communautés, en offrant de nouvelles opportunités de croissance et de durabilité. Ainsi, les projets d’infrastructures comme le tunnel du Fehmarn Belt jouent un rôle essentiel, non seulement en facilitant les déplacements, mais aussi en façonnant les paysages économiques et culturels des régions qu’ils desservent.
Comme le souligne Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, les zones rurales constituent le «tissu de notre société», ce qui montre l’importance de tels projets dans le maintien de la vitalité de ces régions.
Selon un communiqué de la Commission européenne datant de 2021, si 80% des territoires de l’Union sont ruraux, seulement 30% de la population habite dans ces zones. Ursula von der Leyen souligne les conséquences désastreuses qui pourraient résulter d’un tel déséquilibre, notamment le déclin de l’emploi et la hausse du taux de migration des jeunes issus de ces régions.
Nous prêtons rarement attention aux infrastructures qui nous entourent –tout comme nous pensons peu à la circulation de notre sang ou à notre respiration. Nous évoluons dans une société hyper mondialisée et nous n’avons pas conscience de l’importance des routes, des trains et des tunnels. La culture et l’économie traversent les frontières sans effort, aidées par ces infrastructures physiques.
Avec l’urbanisation croissante de l’Europe, nous risquons, d’après Ursula von der Leyen, de perdre «le moteur de notre économie», c’est-à-dire les zones rurales. Pour mieux comprendre les problèmes décrits par la présidente de la Commission européenne, il suffit de regarder les deux îles: la danoise et l’allemande.
Retrouver le dynamisme
À Rødbyhavn, nous suivons Anders Wede qui entre dans une cafétéria. Alors qu’il attend ses lasagnes, il salue une femme assise à une autre table. «J’étais au lycée avec Marianne. Il y a beaucoup de gens qui étaient en classe avec moi ici», remarque-t-il en s’asseyant. Pour lui comme pour beaucoup d’autres ayant grandi à Rødbyhavn, le fait de travailler sur le projet du Fehmarn Belt revêt une signification particulière. Ses parents habitent toujours en ville, et sa sœur travaille même à l’hôtel situé sur le port, qui sert aujourd’hui de bureaux à l’équipe du projet.
Pourtant, Rødbyhavn n’a plus rien à voir avec la ville qu’il a connue. Si de nombreuses raisons motivent l’implication d’Anders Wede dans le projet, une prime sur les autres: «Lorsque l’on a vu sa maison et sa ville se dégrader, on a envie de tout reconstruire à l’identique.» Anders Wede espère montrer à ses enfants la ville vivante qu’il a connu quand il était lui-même petit.
Pendant ce temps, à Puttgarden, Lasse Stiehr se tient debout sur le port, attendant un camion pour la livraison de pièces dans le cadre du projet de construction du tunnel du Fehmarn Belt qui est déjà bien avancé côté allemand.
En arrivant sur l’île de Fehmarn par le ferry de Rødbyhavn, les visiteurs sont accueillis par des champs de colza d’un jaune éclatant et les cris des mouettes qui suivent le ferry depuis son départ de Rødbyhavn. Lasse Stiehr, qui a grandi à Fehmarn et y vit toujours, a assisté à la naissance du projet, ce qui rend le fait d’y participer encore plus spécial: «En tant qu’habitant de l’île, j’ai suivi de près le développement du projet. Je suis intimement convaincu qu’il bénéficiera à l’ensemble de la région. Mais ce qui est encore mieux, c’est qu’il se déroule juste devant chez moi.»
Pour l’avenir
Dans la cafétéria d’un hôtel à Rødbyhavn, Anders Wede s’apprête à déjeuner. «Rødbyhavn ne deviendra pas une ville de passage», pronostique-t-il fièrement. Pour lui, le tunnel permettra de créer des opportunités pour la petite ville et la municipalité de Lolland, même bien après la fin du projet. Il note toutefois qu’il est essentiel que les responsables politiques agissent tant qu’il est encore temps pour tirer parti de ces avantages pour la communauté.
«Tout le monde espère que les responsables politiques vont battre le fer tant qu’il est chaud.» D’après Anders Wede, il est crucial de lancer des projets qui mobilisent la main-d’œuvre déjà présente à Lolland. Cela permet d’inciter les gens à rester dans la municipalité et donc d’attirer davantage d’investisseurs.
Pour Lasse Stiehr, il faut bien distinguer le problème de la solution. Il voit dans le tunnel la possibilité d’attirer plus de jeunes à Fehmarn. En effet, celui-ci leur permettra de rejoindre plus facilement Copenhague et d’y trouver un emploi. Il pense que l’île de Fehmarn en sortira complètement transformée. Les jeunes vont prendre conscience de l’intérêt de vivre à la campagne et de travailler à Copenhague ou dans une autre grande ville à proximité, plus proche que Hambourg.
La raison de la participation au projet de cet Allemand de 26 ans est claire: «Je suis fier d’en faire partie. De pouvoir dire aux gens plus tard qu’avant, ce n’était pas comme ça. Le Danemark est à dix minutes en voiture. Nous l’avons fait.»